Médicament : dix propositions de la Mutualité Française pour "restaurer la
confiance"
Publié le 10/03/2011, Dernière mise à jour le 14/03/2011
L'affaire du Mediator® a mis en évidence de graves dysfonctionnements dans
le circuit du médicament en France. La Mutualité Française publie ce 10 mars
un plan "pour moraliser et moderniser la politique du médicament" dans notre
pays. Il contient dix propositions "réalistes et innovantes".
http://www.mutualite.fr/L-actualite/Medicament/Medicament-dix-propositions-de-la-Mutualite-Francaise-pour-restaurer-la-confiance
Négligences en série, cascade de défaillances au sein même du système
d'autorisation, d'évaluation et de surveillance du médicament : l'affaire du
Mediator® a mis en lumière de graves dysfonctionnements qui ont conduit à ce
scandale sanitaire.
Depuis plus de dix ans, la Mutualité Française développe une politique
fondée sur "l'utilité et le bon usage du médicament, dans l'intérêt de la
population qui les consomme". Elle publie ce jeudi 10 mars un plan pour
"moraliser et moderniser la politique du médicament".
"Des changements en profondeur sont nécessaires si l'on ne veut pas laisser
se développer un sentiment de suspicion à l'égard du médicament,
préjudiciable à la santé publique", explique Etienne Caniard, président de
la Mutualité Française. "Il convient de faire preuve de sélectivité pour
promouvoir les médicaments efficaces et leur bon usage."
Intitulé "Pour une politique de santé publique indépendante des politiques
industrielles", ce plan proposé par la Mutualité Française se décline en dix
propositions "réalistes et innovantes".
Voici les 10 propositions :
1) Faire du progrès médical le critère des autorisations de mise sur le
marché (AMM). Aujourd'hui, l'AMM est réduite à un simple agrément de
commercialisation. Elle n'intègre pas la notion de progrès thérapeutique.
Pour la Mutualité Française, "un médicament ne doit faire l'objet d'une
autorisation de mise sur le marché que s'il répond à un besoin avéré de
santé et s'il constitue une avancée par rapport aux thérapeutiques
existantes".
Actuellement, de nombreuses AMM sont délivrées pour des nouvelles molécules
sur la base d'une comparaison à des placebos qui sont des substances
inertes. Ces nouvelles molécules ne sont donc pas comparées au traitement le
plus performant qui existe. Pour la Mutualité Française, "les essais contre
placebo, aujourd'hui tenus pour satisfaisants, ne doivent plus être
acceptés".
2) Les médicaments doivent être réévalués tous les cinq ans. Actuellement,
un médicament est réévalué une seule fois au bout de cinq ans. Ensuite, son
autorisation est considérée comme définitive. Pour la Mutualité Française,
le retour à une réévaluation quinquennale est une étape cruciale et
obligatoire dans la vie du médicament. Cette procédure ne doit pas être une
simple formalité administrative mais elle doit se baser sur toutes les
données scientifiques et médicales fiables et exhaustives. Cela permettrait
de s'assurer qu'un médicament est toujours efficace.
3) Créer une structure de pharmacovigilance financée par les pouvoirs
publics. Aujourd'hui, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits
de santé (Afssaps) est en charge des autorisations de mise sur le marché des
médicaments et de la pharmacovigilance. Il faut séparer ces deux fonctions
pour assurer la vigilance indépendamment de l'autorisation.
La Mutualité Française propose la création d'une structure indépendante pour
la pharmacovigilance. Elle serait rattachée à l'Institut de veille sanitaire
(InVS). Elle interviendrait sur le suivi des médicaments après leur
autorisation de mise sur le marché. Son financement public permettrait de
faire des études de pharmaco-épidémiologie. "On pourrait ainsi exploiter des
données médicales à partir de l'utilisation réelle des médicaments dans la
vie courante par un très grand nombre de patients", argumente Laure
Lechertier, responsable du département médicament à la Mutualité française.
4) Mobiliser les professionnels de santé sur le bon usage des médicaments.
"Le signalement des effets indésirables nécessite une mobilisation forte des
professionnels de santé", relève le plan médicament de la Mutualité
Française. Actuellement, ces effets sont sous-déclarés par les médecins et
les pharmaciens. La Mutualité Française propose des mesures pour inciter les
professionnels de santé à être plus impliqués dans cette démarche.
L'utilisation de logiciels d'aide à la prescription certifiés permettrait
également de garantir une information de qualité, fiable, actualisée et non
promotionnelle sur les médicaments prescrits par les médecins.
5) Réformer la notion de service médical rendu. Le service médical rendu
(SMR) par un médicament correspond au bénéfice réel apporté au patient. Mais
ce critère médical comporte des sous-critères qui servent de prétexte pour
maintenir au remboursement des médicaments inefficaces. Par exemple : le
gouvernement a créé les vignettes orange pour des médicaments jugés
insuffisants qui continuent à être remboursés à 15% par la collectivité.
Pour la Mutualité Française, la correspondance entre le niveau de service
médical rendu d'un médicament et son taux de remboursement doit être
automatique. Tous les médicaments dont le service médical rendu est
insuffisant doivent être radiés des spécialités remboursables en application
de la loi.
6) Réformer la politique conventionnelle liant l'Etat à l'industrie
pharmaceutique. Actuellement, il existe des conventions entre l'Etat et les
laboratoires qui permettent de fixer le prix des médicaments. Mais il
n'existe pas de réelle transparence des prix car ces conventions tiennent à
la fois compte du développement économique des laboratoires et des intérêts
sanitaires. "Pour lever toute confusion entre les logiques industrielles et
sanitaires, il est nécessaire de réformer la politique qui lie l'Etat à
l'industrie pharmaceutique", fait valoir Laure Lechertier. Cela permettrait
de fixer un prix équitable et juste pour un médicament qui tiendrait compte
de l'innovation, des bénéfices pour les patients et des remboursements par
l'assurance maladie obligatoire et les complémentaires santé.
7) Généraliser l'utilisation de la dénomination commune internationale
(DCI). La DCI est le "vrai" nom du médicament. Elle permet à tous les
professionnels de santé et aux patients de savoir ce que contient un
médicament pour éviter bien des erreurs. Si le Mediator® avait été prescrit
en DCI sous son appellation benfluorex, les médecins auraient été
immédiatement alertés sur le fait qu'il appartenait à la classe des
fenfluramines, un dérivé de l'amphétamine au fort pouvoir anorexigène. Or,
l'utilisation du nom de marque Mediator® a permis aux laboratoires Servier
de dissimuler la véritable nature pharmacologique de ce médicament.
8) Suivre et analyser les prescriptions hors AMM. Dans 20% des cas, le
Mediator® a été prescrit comme médicament anorexigène dans le cadre de
régimes amaigrissants. Or, ce médicament est un antidiabétique : il a donc
été prescrit en dehors de son indication, c'est-à-dire hors du champ prévu
par son autorisation de mise sur le marché (AMM) Si la prescription hors AMM
était encadrée, cela permettrait d'éviter de tels mauvais usages.
9) Réduire l'influence publicitaire de l'industrie pharmaceutique. Un
médicament n'est pas un produit de consommation comme un autre.
L'information des professionnels de santé ne peut être laissée aux seules
mains des industriels. Pour ce faire, il faut renforcer le contrôle de la
publicité de l'industrie pharmaceutique. La Mutualité Française propose que
la formation initiale et continue des professionnels de santé soit
circonscrite au domaine public. "Aujourd'hui, l'information des médecins sur
le médicament est prodiguée par 18.000 visiteurs médicaux rémunérés par les
laboratoires", signale Laure Lechertier.
10) Faire en sorte que la politique européenne du médicament défende des
objectifs de santé publique. Actuellement, la politique du médicament est
essentiellement européenne. Elle est articulée autour du prix, de
l'innovation et de l'information des patients. L'objectif de la Commission
européenne est de favoriser la compétitivité entre les laboratoires.
Problème : les intérêts de santé publique risquent d'être relégués au second
plan. Pour la Mutualité Française, "le médicament ne peut être assimilé à un
produit de consommation courante". Il est donc nécessaire de mettre en ouvre
une stratégie offensive au niveau européen qui défende des intérêts de santé
publique.
Ghislaine Trabacchi