[e-med] Mondialisation et sant� publique: Doha, un tournant?

E-MED: Mondialisation et sant� publique: Doha, un tournant?
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Mondialisation et sant� publique: Doha, un tournant?

J�r�me DUMOULIN (IREPD-CNRS, Grenoble)
jerome.dumoulin@upmf-grenoble.fr

publi� par la Revue Fran�aise de Sant� Publique

La conf�rence minist�rielle de l�Organisation Mondiale du Commerce qui s�est
tenue � Doha (Qatar) du 9 au 14 novembre 2001 a innov�: c�est la premi�re
fois qu�une organisation internationale sur le commerce adopte une
d�claration concernant la sant� publique. Jusqu�� maintenant, les deux
questions du commerce et de la sant� publique (comme celles du commerce et
de l�environnement ou de la r�glementation du travail) �taient bien s�par�es
dans les n�gociations internationales. En quoi cette d�claration est un
tournant, mais aussi en quoi cette d�claration ne change que peu de choses?

Parmi les accords de l�Organisation Mondiale du Commerce, cr��e � Marrakech
en 1994, l�accord ADPIC (Aspects de la Propri�t� Intellectuelle touchant au
Commerce) a instaur� l�obligation pour tous les pays d��tablir des brevets d
�une dur�e de 20 ans, en particulier pour les m�dicaments. Les critiques et
les inqui�tudes vis � vis de l�accord ADPIC se sont beaucoup d�velopp�es
dans les ann�es suivantes: un pays comme l�Inde qui interdit les brevets sur
les m�dicaments (autres que le brevets de proc�d�s) ne pourrait plus
produire des g�n�riques � des prix tr�s bas, jusqu�� 100 fois moins chers
que les m�dicaments princeps. Les d�bats ont pris un tour nouveau avec l�
apparition des tri-th�rapies contre le sida: ces tri-th�rapies ont un effet
direct sur la mortalit� qui est devenue une des premi�res cause de mortalit�
dans de nombreux pays en d�veloppement, et les m�dicaments antir�toviaux
sont tous couverts par des brevets. Le co�t du traitement (15 000 dollars)
resterait totalement inacessible aux pays en d�veloppement.

L�exemple de trois pays (Thailande, Afrique du Sud et Br�sil) alert� l�
opinion internationale: il a montr� (globalement et en simplifiant) que le
traitement des malades du sida est possible dans les pays en d�veloppement,
et qu�une interpr�tation �troite des l�accord ADPIC, soutenue par certains
pays d�velopp�s dont les Etats-Unis, interdirait que les pays prennent des
mesures �nergiques pour faire face � l��pid�mie. La question des brevets
pour les m�dicaments a fait l�objet de nombreux d�bats dans l�opinion
internationale. L�OMS a jou� un r�le important, avec les d�bats � l�
Assembl�e Mondiale de la Sant�, et en publiant un document analysant et
expliquant les accords ADPIC. Les responsables politiques de tr�s nombreux
pays n�avaient pas vu en quoi les r�gles de l�OMC concernant les brevets
pouvaient avoir des cons�quences en sant� publique. MSF, dont la dimension
mondiale a �t� reconnue par le prix Nobel, avec d�autres ONG, a �galement
particip� � la mobilisation de l�opinion publique internationale. Il est d�
ailleurs paradoxal, MSF �tant d�origine fran�aise, que la presse fran�aise
ait �t� tr�s lente � se saisir de ce dossier. Ainsi, en 1998, Le Monde
titrait sur �l�Argentine, pirate de l�industrie pharmaceutique�. Enfin la
r�union de l�Assembl�e G�n�rale de l�ONU a mis en juin 2001 le sida au rang
de priorit� mondiale. Le contexte dans lequel a eu lieu la r�union de Doha
est tr�s diff�rent de celui de Marrackech en 1994

La d�claration de Doha pr�cise utilement certains points en ouvrant les
possibilit�s d�interpr�tation des accords. Des clauses de sauvegarde � l�
exclusivit� des brevets de 20 ans avaient bien �t� pr�vues en 1994, mais
elles �taient assez limit�es et souvent pas assez pr�cises (par exemple en
cas de situation d�urgence non d�finie), ce qui ouvre la porte � des
conflits. A Doha, il a �t� pr�cis� que �chaque Membre [Etat] a le droit d�
accorder des licences obligatoires [licences sur des brevets sans l�accord
du d�tenteur du brevet] et la libert� de d�terminer les motifs pour lesquels
de telles licences sont accord�es�, ce qui donne pratiquement toute libert�
� chaque pays d�interpr�ter les motifs d�accorder une licence obligatoire.
�Chaque Membre a le droit de d�terminer ce qui constitue une situation
d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extr�me urgence, �tant
entendu que les crises dans le domaine de la sant� publique, y compris
celles qui sont li�es au VIH/SIDA, � la tuberculose, au paludisme et �
d'autres �pid�mies, peuvent repr�senter une situation d'urgence nationale ou
d'autres circonstances d'extr�me urgence.)�. Cette disposition limite
clairement les contestations possible.

Le contenu de cette d�claration peut para�tre maigre � qui n�a pas suivi de
pr�s les d�bats sur l�OMC et la sant� publique depuis 1996. Mais c�est un
tournant important dans la mesure o� il est enfin reconnu que la poursuite
des int�r�ts commerciaux des pays ne r�gle pas n�cessairement les probl�mes
de sant� publique, et ou la communaut� internationale met les grands
probl�mes de sant� publique avant les int�r�ts commerciaux. La
mondialisation n�est pas seulement celle du commerce, et le commerce ne peut
plus � lui seul pr�tendre diriger la mondialisation.

A propos de l�acc�s des pays en d�veloppement aux m�dicaments, il est
�vident que de tr�s nombreux probl�mes restent � r�soudre. Tout d�abord,
quand l�accord ADPIC permet des licences obligatoires, celles-ci doivent
�tre de fa�on pr�dominante pour le march� int�rieur. Il est tr�s
significatif que les accord ADPIC interdisent de diff�rencier les
productions nationales de celles import�es pour toutes les r�gles en mati�re
de brevet, sauf pour celle- la, qui est la seule o� les pays pauvres
pourraient b�n�ficier de ce principe. De nombreux pays n�ont pas la capacit�
technique de produire des m�dicaments de fa�on significative: o�
pourront-ils s�approvisionner si les autres pays n�ont pas le droit d�
exporter? Le conf�rence de Doha reconna�t le probl�me, mais ne l�a pas
r�solu. L�OMC doit faire des propositions d�ici fin 2002.
La question des brevets n��puise pas l�acc�s aux m�dicaments, de m�me que la
pr�vention contre le sida ne peut �tre r�duite � la seule question du
pr�servatif. Pour le sida, les pays du Sud touch�s ont � organiser les
traitements � grande �chelle, ce qui demande d�abord une d�cison politique,
ensuite des moyens. Ce combat est loin d��tre gagn�: par exemple en Afrique
du Sud, l�ONG Treatment Acces Campaign a du poursuivre le gouvernement en
justice pour qu�un programme de pr�vention de la transmission du sida
m�re-enfant soit envisag�. Le tribunal lui a donn� raison le 17 d�cembre. Le
Fonds modial pour lutter contre le sida, la tuberculose et le paludisme en
cours de cr�ation devrait aider � financer l�acc�s aux m�dicaments contre
ces maladies, mais la politique de ce fonds n�a pas encore �t� d�finie:
quelle priorit� sera donn� aux soins ? ach�tera-t-il des g�n�riques �
moindre co�t ou bien ach�tera-t-il des m�dicaments de marque � prix �lev� en
donnant une rente � leurs producteurs?

Si le drame du sida a pu servir de locomotive � la question des brevets, ce
mod�le ne peut s�appliquer � toutes les pathologies. Ainsi, pour les
m�dicaments n�ayant pas de d�bouch� significatif dans les pays d�velopp�s,
les laboratoires ne sont pas incit�s � investir dans la
Recherche-D�veloppement, car il n�y a pas de march� pouvant supporter des
prix �lev�s qui rentabilise leurs frais de recherche. Il s�agit des
�maladies n�glig�es� (paludisme, tuberculose, leishamose, trypanomosiase,
etc). De leur cot�, les pays victimes de ces maladies n�ont pas les moyens
de financer � eux seuls la recherche et le d�veloppement pour de nouveaux
m�dicaments, alors que l�arsenal th�rapeutique est tr�s insuffisant. Quelles
solutions trouver � ce probl�me? Des initiatives ont �t� lanc�es pour la
tuberculose (The Global Alliance for TB Drug Development) et le paludisme,
avec le soutien de fondations et de laboratoires pharmaceutiques, mais ces
initiatives sont � amplifier en moyens et en domaines d�intervention.

En conclusion, je remarquerai que les questions mondiales de sant� publique
d�passent largement l�approche de l�action humanitaire, mais que le
militantisme, la mobilisation de l�opinion publique peuvent faire
significativement avancer les solutions.

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