La Revue Prescrire
Numéro 287, septembre 2007
p.697-698
OMS : faites ce que je dis mais pas ce que je fais
Une des missions-clés de lOrganisation mondiale de la santé (OMS) est
lélaboration et la promotion de politiques et de pratiques visant à
améliorer la santé, partout dans le monde. LOMS publie chaque année un
grand nombre de recommandations de pratique clinique, de santé publique ou
de politique sanitaire, et elle jouit souvent dune image dautorité suprême
en matière de santé (1).
LOMS napplique pas ses propres règles.
Il y a loin aujourdhui de cette image à la réalité. Ainsi par exemple des
recommandations inappropriées en matière dhypertension artérielle ont dû
être révisées par lOMS après avoir été sévèrement mises en cause sur la
base dune argumentation solide (2). Et, face aux critiques, lOMS a dû
revoir toute sa procédure dactualisation de la liste des médicaments
essentiels pour adopter une méthode plus rigoureuse et plus transparente
(3,4).
Ces insuffisances auraient pu nêtre que des faux pas isolés dans une
démarche allant globalement dans le bon sens. Mais une enquête bien
documentée montre au contraire que la plupart des recommandations émises par
lOMS ne répondent pas aux critères de qualité exigibles aujourdhui en
matière délaboration de recommandations (5).
Une enquête minutieuse.
Des auteurs spécialisés dans lévaluation de la qualité des recommandations
sanitaires ont cherché à savoir si lOMS appliquait les règles de bonnes
pratiques considérées aujourdhui comme indispensables en matière
délaboration de recommandations, et notamment la transparence sur la
méthode et le recours à des synthèses méthodiques des données disponibles,
pondérées par leurs niveaux de preuves. La méthode officielle de lOMS
repose sur cette approche depuis 2003 (6).
Pour leur étude, les auteurs ont interviewé 21 directeurs (ou leurs
délégués), entre septembre 2003 et février 2004, de 16 départements de lOMS
qui produisent des recommandations, et ils ont analysé en détail 4 rapports
contenant des recommandations thérapeutiques majeures de lOMS, sur les
antirétroviraux, la tuberculose, le paludisme et la santé des enfants (5).
Leur constat est consternant : au moment où les entretiens ont été réalisés,
pratiquement aucun directeur navait appliqué ni prévu dappliquer les
propres règles de lOMS, et certains nen voyaient même pas lintérêt. Ils
procédaient comme avant lère de lEBM (evidencebased medicine), en
sappuyant sur des avis dexperts, avec tout ce que cela implique de manque
de transparence dans leur sélection, de faiblesse dans les justifications
des recommandations, et de conflits dintérêts potentiels, corporatistes ou
industriels (a)(5).
Ce constat est de nature à jeter un discrédit durable sur lOMS et ses
publications. Il nest pas nié par lorganisation, qui a reconnu
officiellement les défauts pointés, et a promis de mieux faire à lavenir
(1).
Biais potentiels et influences extérieures. Le recours à des synthèses
méthodiques pour étayer des recommandations présente de nombreux avantages :
ces synthèses réduisent les diverses sources de biais méthodologiques, sont
reproductibles et vérifiables par dautres équipes (5). Elles limitent aussi
le risque de biais dû aux conflits dintérêts des experts sollicités (7).
Certains directeurs de départements de lOMS se sont déclarés conscients des
limites de leurs recommandations, déplorant un manque de moyens et de temps.
Les auteurs de létude font remarquer que lOMS pourrait faire déjà beaucoup
mieux avec ses moyens disponibles, en adoptant de bonnes méthodes de
travail. Les auteurs soulignent aussi que cette organisation des Nations
unies dépend lourdement de financements extérieurs, au-delà de la
contribution obligatoire des États (5).
Cette dépendance de lOMS de financements extérieurs, parfois de nature
privée, sest accrue au cours des dernières années pour atteindre 72,4 % en
2006- 2007 (8). Elle est dautant plus regrettable que certaines activités
de lOMS dépendent essentiellement de tels financements extérieurs (b). Pire
encore, lOMS permet que des membres de son personnel soient directement
rémunérés par des sponsors extérieurs, des firmes pharmaceutiques par
exemple (9,10).
Un des mots dordre des derniers directeurs de cette organisation a été la
promotion des partenariats public-privé pour résoudre les problèmes de santé
mondiaux. Dans un tel contexte, le fait que lOMS nadopte pas des
procédures transparentes et méthodiques délaboration de ses recommandations
prend un caractère dautant plus préoccupant.
Restaurer la crédibilité de lOMS.
Comme le promettent des responsables de lOMS, il est temps que cette
organisation renforce sa crédibilité dans le domaine des recommandations.
Dautant que les pays démunis se reposent souvent largement sur elles (1).
Cette reconquête passe certainement par ladoption des bonnes pratiques
délaboration des recommandations. Mais elle passe aussi par une réduction
de la dépendance financière de lOMS par rapport à des intérêts privés, et
laugmentation de son budget propre financé par les États membres, en vue
délaborer des recommandations libres de toute influence extérieure. Elle
passe enfin par une transparence sur les conflits dintérêts des experts
extérieurs auxquels a recours lOMS.
Enfin, cette enquête met à nouveau en garde les professionnels de santé et
les décideurs en santé publique sur le risque quils prendraient à modifier
leurs pratiques sur la seule foi darguments dautorité ou autres avis
dexperts. Quelle soit mondiale comme lOMS, ou haute comme la Haute
autorité de santé (HAS) française, une organisation ne peut être crédible
quen mettant réellement et rigoureusement en pratique des procédures de
travail transparentes et méthodiques (11).
Puisse cette enquête donner du poids à tous les personnels de lOMS qui se
battent pour que leur organisation remplisse mieux sa mission dintérêt
public.
La revue Prescrire
Communiqué de presse
http://www.prescrire.org/bin/cqp/index.php?id=28581
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a- La méthode de recours exclusif aux experts est parfois désignée de
manière ironique de GOBSAT (good old boys sat around a table), par
opposition à lEBM (réf. 7).
b- Signalons par exemple que le Guide des politiques et des services de
santé mentale - Politiques et plans relatifs à la santé mentale de lenfant
et de ladolescent a été réalisé avec « lappui financier généreux des
gouvernements dAustralie, dItalie, de la Nouvelle- Zélande et des Pays-Bas
ainsi que de la Fondation Eli Lilly & C°, et de la Johnson and Johnson
Corporate Social Responsibility, Europe » (réf. 12). Lire aussi réf. 13.
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Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Hill S et Pang T Leading by example : a culture change at WHO Lancet
2007 ; 369 : 1842-1844. 2- Prescrire Rédaction Les recommandations
contestables et contestées de lOMS dans lHTA Rev Prescrire 1999 ; 19
(195) : 378-381.
3- Prescrire Rédaction OMS : des médicaments essentiels, sauf pour les
pauvres Rev Prescrire 2001 ; 21 (215) : 221.
4- Prescrire Rédaction Médicaments essentiels : lOMS redresse le cap Rev
Prescrire 2003 ; 23 (239) : 381-382.
5- Oxman AD et coll. Use of evidence in WHO recommendations Lancet 2007 :
369 : 1883-1889.
6- Guidelines for WHO guidelines WHO 2003. Site whqlibdoc.who.int/hq/
2003/EIP_GPE_EQC_2003_1.pdf consulté le 15 juin 2007 : 24 pages.
7- Nathwani D From evidence-based guideline methodology to quality of care
standards J Antimicrob Chemother 2003 ; 51 : 1103-1107.
8- Proposed programme budget 2006-2007 - notes on revisions to the proposed
programme budget 2006-2007 since the 115th session of the executive board.
Site www.who.int <http://www.who.int/> consulté le 16 mai 2007 : 14 pages.
9- Correspondance entre Health Action International et lOMS en 1999. Site
www.haiweb.org <http://www.haiweb.org/> consulté le 16 mai 2007 : 4 pages.
10- Guidelines on working with the private sector to achieve health
outcomes Report of the Executive board, 107e Session, 30 novembre 2000.
Site internet http://www.who.int/> consulté le 29 juin
2007.
11- Prescrire Rédaction Guides de pratique clinique : faire le tri, et
savoir jeter Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 304-306.
12- Organisation mondiale de la santé Guide des politiques et des services
de santé mentale - Politiques et plans relatifs à la santé mentale de
lenfant. Site www.who.int <http://www.who.int/> consulté le 15 juin 2007.
13- Prescrire Editorial staff The World Health Organization in the hot
seat. Site www.isdbweb.org <http://www.isdbweb.org/> consulté le 15 juin
2007 : 9 pages.