[e-med] Retenir les leçons d'Ebola, Analuse de JOSEPH STIGLITZ

Retenir les leçons d’Ebola
JOSEPH STIGLITZ / CHRONIQUEUR - PRIX NOBEL
D'ÉCONOMIE 2001, EST PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ COLUMBIA (NEW YORK) | LE
19/11 À 11:58
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0203945684034-retenir-les-lecons-debola-1066235.php

La propagation d’un virus comme Ebola remet en perspective l’importance des
institutions publiques pour tenter d’enrayer l’épidémie. Même les tenants
habituels de la privatisation de la santé se tournent vers elles.

La crise Ebola nous rappelle une fois de plus cette nature à double
tranchant que revêt la mondialisation. Les aspects positifs – tels que les
principes de justice sociale et d’égalité des sexes – ne sont pas les seuls
à traverser les frontières plus facilement que jamais auparavant ; c’est
également le cas d’événements défavorables, telles que l’évolution
environnementale ou encore la maladie.

Cette crise nous rappelle également l’importance de la gouvernance et de la
société civile. Nous ne faisons pas appel au secteur privé lorsqu’il s’agit
d’endiguer la propagation d’une maladie telle qu’Ebola. Nous nous tournons
davantage vers des institutions – CDC américains (Centers for Disease
Control and Prevention), Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que
Médecins Sans Frontières, association remarquable de médecins et infirmiers
risquant leur vie pour sauver celle des populations les plus défavorisées
de la planète.

Même les plus fervents partisans de la droite, souvent désireux de
démanteler un certain nombre d’institutions publiques, se tournent vers de
telles institutions lorsqu’il s’agit de faire face à une crise comme Ebola.
Si les gouvernements ne se montrent pas toujours à la hauteur dans
l’appréhension de telles crises, l’une des raisons pour lesquelles ils
trahissent parfois nos espoirs réside précisément en ce que nous
sous-finançons les agences concernées, aux niveaux national et global.

Un certain nombre d’autres enseignements peuvent être tirés de l’épisode
d’Ebola. L’une des raisons pour lesquelles la maladie s’est propagée aussi
rapidement au Libéria et en Sierra Leone est liée au fait qu’il s’agit dans
les deux cas d’États ravagés par la guerre, au sein desquels une grande
partie de la population souffre de malnutrition, et ne bénéficie que d’un
système de santé dévasté.

Par ailleurs, bien que le secteur privé joue effectivement ici un rôle
essentiel – dans l’élaboration de vaccins – il est peu incité à déployer
des ressources dans la lutte contre des maladies affectant les individus
défavorisés ou les États les plus pauvres. C’est seulement lorsque les pays
développés se trouvent menacés qu’apparaît la motivation nécessaire pour
investir dans des vaccins contre des maladies telles qu’Ebola.

Il ne s’agit pas ici de formuler une critique à l’encontre du secteur privé
; après tout, les sociétés pharmaceutiques ne sont pas dans les affaires de
bonté de cœur, et les rendements sont faibles lorsqu’il est question de
prévenir ou de guérir les maladies des populations pauvres. La crise
d’Ebola soulève davantage la question de notre tendance à compter sur le
secteur privé pour accomplir des tâches pour lesquelles les gouvernements
se révèlent pourtant plus efficaces. En effet, il apparaît aujourd’hui qu’à
condition de financements publics plus élevés, un vaccin contre Ebola
aurait pu être élaboré il y a déjà plusieurs années.

Les échecs de l’Amérique à cet égard suscitent une attention
particulière.Du côté de ses atouts, l’Amérique abrite certes quelques-uns
des plus grands hôpitaux, des meilleures universités de recherche, et des
centres médicaux les plus avancés de la planète. En revanche, lorsque l’on
sait que les États-Unis dépensent davantage par habitant et en pourcentage
de leur PIB en direction de la santé que n’importe quel autre pays au
monde, leurs résultats en la matière apparaissent véritablement décevants.
Au jour de leur naissance, l’espérance de vie des Américains de sexe
masculin se place en-dessous de 17 autres pays à revenu élevé

Ce retard de la santé en Amérique s’explique par de nombreux facteurs, dans
le cadre de leçons susceptibles d’éclairer également d’autres pays. Pour
commencer, l’accès à la médecine revêt une importance essentielle. Les
États-Unis comptant parmi les rares pays développés à ne pas reconnaître
cet accès comme un droit fondamental de l’homme, et dépendant beaucoup plus
que les autres du secteur privé, rien de surprenant à ce que beaucoup
d’Américains ne bénéficient pas des soins dont ils auraient besoin. Bien
que la loi sur la protection du patient et les soins abordables (Obamacare)
ait amélioré la situation, l’assurance maladie a encore beaucoup de chemin
à accomplir, la quasi-moitié des 50 États américains refusant d’étendre le
Medicaid, programme de financement de la santé destiné aux Américains les
plus pauvres.

Par ailleurs, l’Amérique enregistre l’un des taux de pauvreté de l’enfance
parmi les plus élevés des pays développés sachant que le manque de
nutrition adaptée et de soins de santé pendant l’enfance a des incidences
tout au long de la vie de l’individu. Pendant ce temps, la législation
américaine sur les armes contribue au taux de décès violents le plus élevé
des pays développés, tandis que la dépendance du pays à l’égard de
l’automobile alimente un nombre important de morts sur les routes.
Les inégalités considérables que présente l’Amérique constituent également
un facteur essentiel dans le retard du pays en matière de santé, et
d’autant plus en combinaison avec les aspects précédemment mentionnés.

Étant donné toujours plus de pauvreté, de précarité dès l’enfance,
d’individus privés d’accès à la santé, à un logement décent et à
l’éducation, et compte tenu d’un nombre croissant d’individus confrontés à
une insécurité alimentaire (consommant bien souvent des aliments peu
coûteux, qui contribuent à l’obésité), il n’est pas surprenant que les
résultats de l’Amérique en matière de santé soient aussi mauvais.

Joseph E. Stiglitz,

Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate 2014.

Bonjour et merci Simon pour cet article.

L'analyse de Stiglitz est intéressante mais très classique.
Si on reprend le dossier de Solthis sur la gestion des risques du fonds mondial, nous pourrions synthétiser le texte de Stiglitz en identifiant les risques suivants :

Objectif :Â
- protéger les populations des maladiesÂ

Risques :
- Ne pas considérer l'accès à la santé comme un droit fondamental- Ne pas disposer de structures publiques fortesÂ
- Avoir des inégalités de revenus élevées
- Ne pas disposer d'une nourriture équilibrée pour les populations (cf système immunitaire)- Ne pas disposer de systèmes de soins primaires de qualité©
- Avoir trop de dépenses par rapport aux résultats (Cf exemple de la santé aux USA)
- Compter sur le secteur privé pour répondre aux besoins des plus pauvres (Quid des PPP justement ?)

Et bien en fait c'est aussi la situation en Afrique. Le système est fait pour que les africains dépensent de plus en plus dans la santé mais mal, ceci au profit d'un secteur privé qui ne tendra pas vers la meilleure efficacité possible.

Et bien je considère que les systèmes actuels (verticaux, fragmentation, etc...) et les mentalités (la santé n'est pas encore un droit fondamental, les inégalités sont exagérées) ne sont pas adaptées pour couvrir les risques qui menacent la santé des populations africaines.

C'est aussi ce genre de cartographie des risques qu'on aimerait voir au sein des grandes institutions impliquées dans la santé, si jamais elles étaient prêtes à tout mettre sur la table sans tabou.
J'avais modestement écrit cet édito en avril sur le lien Inégalités-VIH puisque je n'avais pas de réponse des acteurs VIH à mes questions :Editorial – VIH en Afrique : N’est-il pas nécessaire de réduire les inégalités ?

Editorial – VIH en Afrique : N’est-il pas nécessaire de réduire les inégalités ? Par The Editorial Team · Le 3 avril 2014 · Par Bertrand Livinec Initiative Panafricaine de Lutte contre les Hepatites
http://www.santemondiale.org/ihpfr/2014/04/03/editorial-vih-en-afrique-nest-il-pas-nacessaire-de-raduire-les-inagalitas/

En mai la banque mondiale écrit ceci :Selon le Groupe de la Banque mondiale, la croissance seule ne suffira pas pour éradiquer l'extrême pauvreté | ONUSIDA

Selon le Groupe de la Banque mondiale, la croissance seu...Si le monde veut réduire efficacement la pauvreté et atteindre les objectifs clés de développement dans des domaines critiques tels que la santé et l'éducation, les... |

Afficher sur www.unaids.org | Aperçu par Yahoo |

"Le Groupe de la Banque mondiale a reconnu que VIH, inégalités et extrême pauvreté sont inextricablement liés et doivent être traités conjointement."

Mais qu'est ce qu'attendent les acteurs VIH pour inclure dans leur cartographie des risques les inégalités de revenus et demander une diminution drastique des coefficients de Gini en Afrique ? Cela fait de très nombreuses années qu'on connait la corrélation, où se situe le problème ?
Nb : Le Fonds Mondial serait confronté à moins de risques de corruption et de détournement sur leurs programmes si les coefficients de Gini étaient bien plus bas. Ce n'est pas en augmentant d'une manière disproportionné les contrôles dans des environnements hyper inégalitaires que cela va s'arranger. C'est comme faire de la bureaucratie soviétique dans un environnement économico-social néo-libéral.

Bonne journée,Bertrand

Bonjour,

Une autre leçon sur Ebola est aussi de se demander si les acteurs de santé sont capables de retenir les leçons du passé.

Voici un document élaboré en 1998 (il y a donc 16 ans) sur les fièvres hémorragiques (dont Ebola) :
http://www.cdc.gov/vhf/abroad/pdf/african-healthcare-setting-vhf-fr.pdf

Un grand nombre d'institutions y ont collaboré.

Est ce que ce type de manuel a été largement diffusé auprès des acteurs de santé de terrain en 2014 (le cas échéant mis à jour) ?

Depuis que la crise Ebola s'est déclenchée en Afrique de l'Ouest, quelles sont les informations qui ont été diffusées aux acteurs de santé ?

On a beaucoup parlé de la problématique des Pratiques et rituels d’inhumation, est ce vraiment un problème nouveau et inconnu en 1998 ?
Idem pour Mobilisation des ressources de la communauté et campagned’éducation.
J
e crois surtout qu'on est très peu capable en 2014 de s'appuyer sur les acquis de connaissance passées.

Bien cordialement,

Bertrand Livinec