E-MED: Sida : l�exception et la r�gle
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Sida : l�exception et la r�gle
par Marie de Cenival
L'Humanite (journal fran�ais)
PARIS, 23 decembre 2002
En 1985, a Marrakech, des accords r�dig�s de la main m�me des industriels
sont sign�s par tous les Etats Membres du GATT, ancien OMC. Ils imposent au
monde le respect des brevets.
L��pid�mie de Sida vient de commencer ses ravages, peu de gens s�en
soucient. La moiti� du monde ignore le sens m�me du mot � brevet � et se
serait bien pass�e d�en savoir plus, elle n�a cure de prot�ger l�innovation
parce qu�elle vit de sa diffusion, de la copie � large �chelle des
m�dicaments qui sauvent et des techniques qui permettent de rep�rer les
maladies. Sous un certain niveau de d�veloppement, le respect de la
propri�t� intellectuelle n�a que des cons�quences n�fastes pour les pays.
Pourtant, en 2002, de nombreux pays se sont d�j� conform�s � ce nouveau
dogme , avant m�me la date butoir requise (2000 pour les uns / 2005 pour
les autres). Tous le feront, sans doute par force, avant l�heure. Le
Parlement indien vient de d�cider de se saborder en ratifiant une loi plus
stricte encore que l�original � l�� accord TRIPS �, et les cons�quences pour
l�avenir de son industrie pharmaceutique, donc pour l�acc�s aux traitements
dans le reste du monde, seront d�sastreuses.
Voil� maintenant plus de cinq ans que les activistes se battent pour
rappeler au monde que des exceptions � la r�gle du respect universel des
brevets sur les produits pharmaceutiques existent, qu�elles sont inscrites
dans la lettre m�me des accords TRIPS de l�OMC, et doivent pouvoir
s�appliquer. Une vaste coalition regroupant MSF, Oxfam, CPT, HAI, Health
Gap, Act Up et tant d�autres travaille sans rel�che pour qu�un pays, quelque
part, s�autorise � importer des copies de m�dicaments brevet�s en usant de
la clause dite de la � licence obligatoire �, en vain. Les Etats concern�s
ne veulent pas d�ennui avec l�OMC, ils n�ont pas les moyens financier pour
se d�fendre en cas de proc�s
L�ann�e derni�re a Doha, les membres de cette coalition ont cru que la
victoire �tait proche : bien que ce nouveau round de n�gociations ait
repr�sent� une catastrophe pour le monde en d�veloppement sur d�autres
plans, la � d�claration de Doha � a sauv� le processus : on y r�affirmait le
prima des imp�ratifs de sant� publique sur les r�gles de propri�t�
intellectuelle, la possibilit� pour les pays dont la sant� l�exigeait d�user
des clauses d�exceptions pour importer des g�n�riques, et la n�cessit� de se
conformer scrupuleusement aux accords �tait repouss�e � 2016 pour les pays
les plus d�favoris�s.
Il restait bien un petit point sombre : la question de savoir � qui les pays
pauvres pourraient bien acheter les copies de m�dicaments brevet�s si
personne n�avait le droit de les produire pour les exporter n��tait pas
tranch�e. On verrait plus tard� On a vu : les discussions du Conseil de
Trips � l�OMC se sont achev�es vendredi sur un �chec patent. La d�claration
de Doha a �t� trahie.
Les pays en d�veloppement et leurs alli�s n�en finissent pas de perdre. La
premi�re fois qu�ils ont perdu, c�etait par forfait : les activistes
n��tait par pr�sent � Marrakech en 1985. La propri�t� intellectuelle s�est
impos�e comme cadre de r�f�rence des �changes mondiaux sur les produits
issus de l�innovation.
La deuxi�me fois qu�ils ont perdu, c�est quand ils ont �t� invit�s �
discuter de tarification diff�rentielle. Un prix pour le Nord, un prix pour
le Sud. Joli principe, mais qui ne se traduisit que par des mesures
ponctuelles, accord�es au m�rite et � des conditions de contr�le drastiques
des circuits d�approvisionnement et des march�s par les grands labos, avec
bien sur comme condition premi�re l�exclusion des g�n�riques. La
�tarification diff�rentielle � n��tait plus un principe d��quit� mais une
op�ration de pur dumping charg�e de garantir le maintien du monopole des
multinationales sur le march� mondial avc le soutien de l�ONU. En �change de
cette promotion, il �tait entendu que les marges b�n�ficiaires des
laboratoires sur les march�s du Nord ne devaient plus �tre mis en question,
et qu�il fallait conc�der aux multinationales le droit de contr�ler
l�approvisionnement dans les pays b�n�ficiaires. Secure the Future, titrait
BMS ! Secure the Profit, r�pondait Act Up.
La troisi�me fois que les pays en d�veloppement ont perdu, c�est quand ils
se sont r�unis pour pr�ciser les conditions d�utilisation des clauses
d�exception � la loi des brevets, � Doha.
Quand on commence � discuter de cet article que l�administration am�ricaine
utilise tous les jours sans avoir besoin qu�on le lui � interpr�te �, c�est
le d�but de la reddition : en m�me temps qu�on discute les exceptions � la
r�gle, on valide la r�gle. Et c�est bien malgr� eux que les MSF, les Act Up,
les Oxfam et les autres ont confort� le monde entier dans l�id�e que la
propri�t� intellectuelle �tait une r�gle d�or, une loi supr�me, intangible
et de toute �ternit� � qui comportait des clauses d�exception, sans doute un
os � ronger.
La boucle �tait boucl�e : les multinationales de la pharmacie ont impos�
l�id�e que leurs profits sont justifi�s au Nord, que les brevets sont une
n�cessit� de toujours et pour l�humanit� enti�re, que l�avenir des pauvres
de ce monde d�pendra de quelques g�n�reuses exceptions � la r�gle du profit.
Il y a de quoi �tre impressionn�.
Un an plus tard, vendredi dernier, les opinions publiques regardaient
ailleurs, alors que se discutaient les derniers d�tails� du sens qu�il
faudrait donner � l�article 31f de la d�claration de Doha� d�claration qui
donnait une interpr�tation incompl�te de l�exception � inscrite dans
l�article 27b des accords TRIPS, � la r�gle des brevets. Le sujet devient de
moins en moins sexy ; et pourtant c�est sur ce point pr�cis que p�sent les
enjeux les plus lourds, qui ont motiv� la r�daction des accords en 85. En
clair, nos repr�sentants � l�OMC se demandaient si l�Inde, la Chine, la
Thailande, la Cor�e du Nord auraient encore le droit de produire demain des
copies de m�dicaments innovants pour les exporter vers les pays n�ayant pas
les moyens d�acheter de la marque ou de les produire eux-m�me !
Comme d�habitude les US ont jou� le r�le du m�chant. Ils ont voulu
restreindre le b�n�fice de la d�claration de Doha � quelques pays, quelques
produits, quelques maladies� En accord avec le Japon, le Canada et l�Union
Europ�enne, ils ont tout mis en �uvre pour que les pays qui peuvent et
veulent produire pour exporter n�y aient plus aucun int�r�t.
Alors � paradoxalement - on ne peut que se r�jouir de l��chec des
n�gociations. La guerre d�usure men�e par les pays d�velopp�s sur les
repr�sentants des pays en d�veloppement n�a pas �puis� leur jugement au
point qu�ils se seraient sentis oblig�s de signer un texte vicieux : 8 pages
de notes destin�es � �claircir un paragraphe de 20 mots. Ce texte aurait
�limin� les derni�res chances de survie dynamique industrielle et
commerciale qui pallie depuis des dizaines d�ann�es aux in�galit�s mondiales
devant l�acc�s aux soins.
Il faut maintenant prendre acte : cet �chec est l��chec de l�ultime
tentative pour donner aux accords TRIPS un visage � humanitaire �. Ces
accords ont d�finitivement fait la preuve de leur mauvaise volont�, il faut
les mettre en pi�ce. Il faut imposer un autre agenda, redonner aux pays en
d�veloppement leur libre arbitre en mati�re de propri�t� intellectuelle. Il
faut que l�OMC, dans l�esprit de Doha du prima de la sant� sur les int�r�ts
commerciaux, garantisse � l�inverse de ses ambitions de d�part une
protection minimale des int�r�ts sanitaires CONTRE les pressions bilat�rales
qui veulent que s�impose la loi des brevets.
Les industries les plus riches du monde n�ont pas BESOIN qu�on prot�ge leurs
profits, qu�on lib�re les prix, qu�on contr�le les prescripteurs. Pas plus
qu�elles n�ont besoin de plus de propri�t� intellectuelle pour innover,
elles font d�j� des b�n�fices scandaleux et disproportionn�s sur le dos des
malades, et ne font aucune recherche sur les vaccins et les maladies des
pauvres comme la malaria, qui d�vastent la partie la plus vuln�rable de la
plan�te. Plus de 40 millions de personnes sont atteintes du sida et n�ont
pas acc�s aux traitements. En Afrique on meurt d�asthme et de cancer autant
et m�me plus qu�en Europe. Et ces in�galit�s criantes ne vont que se creuser
dans l��tat actuel des trait�s internationaux. Alors on ne peut plus dire
c�est impossible, il est trop tard, on ne peut rien contre la
mondialisation en marche, etc.�. Il faut le demander, fort, � nos
repr�sentants. Brisons ces accords.
Marie de Cenival
Paris : 04 96 12 60 56 / 06 19 99 53 74
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